16/11/2008
Première gelée (Jean Richepin)
Jean RICHEPIN (1849-1926)
(Recueil : La chanson des gueux)
Première gelée
Voici venir l'Hiver, tueur des pauvres gens.
Ainsi qu'un dur baron précédé de sergents,
Il fait, pour l'annoncer, courir le long des rues
La gelée aux doigts blancs et les bises bourrues.
On entend haleter le souffle des gamins
Qui se sauvent, collant leurs lèvres à leurs mains,
Et tapent fortement du pied la terre sèche.
Le chien, sans rien flairer, file ainsi qu'une flèche.
Les messieurs en chapeau, raides et boutonnés,
Font le dos rond, et dans leur col plongent leur nez.
Les femmes, comme des coureurs dans la carrière,
Ont la gorge en avant, les coudes en arrière,
Les reins cambrés. Leur pas, d'un mouvement coquin,
Fait onduler sur leur croupe leur troussequin.
Oh ! comme c'est joli, la première gelée !
La vitre, par le froid du dehors flagellée,
Étincelle, au dedans, de cristaux délicats,
Et papillotte sous la nacre des micas
Dont le dessin fleurit en volutes d'acanthe.
Les arbres sont vêtus d'une faille craquante.
Le ciel a la pâleur fine des vieux argents.
Voici venir l'Hiver, tueur des pauvres gens.
Voici venir l'Hiver dans son manteau de glace.
Place au Roi qui s'avance en grondant, place, place !
Et la bise, à grands coups de fouet sur les mollets,
Fait courir le gamin. Le vent dans les collets
Des messieurs boutonnés fourre des cents d'épingles.
Les chiens au bout du dos semblent traîner des tringles.
Et les femmes, sentant des petits doigts fripons
Grimper sournoisement sous leurs derniers jupons,
Se cognent les genoux pour mieux serrer les cuisses.
Les maisons dans le ciel fument comme des Suisses.
Près des chenets joyeux les messieurs en chapeau
Vont s'asseoir ; la chaleur leur détendra la peau.
Les femmes, relevant leurs jupes à mi-jambe,
Pour garantir leur teint de la bûche qui flambe
Étendront leurs deux mains longues aux doigts rosés,
Qu'un tendre amant fera mollir sous les baisers.
Heureux ceux-là qu'attend la bonne chambre chaude !
Mais le gamin qui court, mais le vieux chien qui rôde,
Mais les gueux, les petits, le tas des indigents...
Voici venir l'Hiver, tueur des pauvres gens.
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07/10/2008
Que raconte l'oiseau?
La terre que je pétris prend la forme des mots
Qui ne peuvent pas dire la douceur de l’argile
Le contact soyeux de mes doigts sur ta peau
L’opulente rondeur d’une saison tranquille
Je bande du pinceau sur le papier trempé
Comme la note me vient éclater dans l’oreille
L’obsession qui me comble comme la volupté
D’un dimanche d’été ravagé de soleil
Le silence rebondit sur la portée du vent
Là où le verbe est mort trop bavard quelquefois
Le trait et la couleur disent le sentiment
Ou l’exacerbation du désir parfois
J’entends des violons en marchant dans la rue
Quand je ferme les yeux la lumière est violente
Comme une envie d’alcool subite et incongrue
Comme la beauté bleue d’une femme indolente
Et ce rêve de lèvres enfiévrées de douceur
Qui vient me caresser le ventre de la nuit
Comme l’aquarelle sait en donner la couleur
Comme un double soupir repose la symphonie
Qu’importe que comprenne ou ne comprenne pas
Les sculptures de mots la peinture des musiques
Elles n’ont rien à dire et pourtant elles sont là
Un simple souvenir pour un moment magique
Que raconte l’oiseau dont le chant m’émerveille ?
D.L06/10/08
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18/09/2008
Le chien à lunettes
Le chien à lunettes
Mange une gaufrette
Couché dans la cour
Assis dans une yourte
Le canard mongol
Joue du violoncelle
Une institutrice
Ecrit au tableau
Ce poème idiot
Un chien à lunettes
Assis dans une yourte
Écrit au tableau
Une institutrice
Couchée dans la cour
Joue du violoncelle
Ce poème idiot
Le canard mongol
Mange une gaufrette
Un chien à lunettes
Écrit au tableau
Une institutrice
Le canard mongol
Couché dans la cour
Ce poème idiot
Joue du violoncelle
Mange une gaufrette
Assis dans une yourte
Un chien a gaufrettes
Assis au tableau
Écrit le canard
Une institutrice
Mange des lunettes
Idiot dans une yourte
Violoncelle couché
Mongol dans la cour
Joue ce poème.
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05/09/2008
Le monde autour
Il y a le monde autour en larmes et en sourires
Et le cri des enfants dans la cour de l’école
Des rêves de soleil et des pluies de désirs
Des chansons qui s’écrivent et des chats qui somnolent
Les plages noires des volcans où l’océan se brise
Et l’orchestre du vent qui joue des symphonies
Un ourson qui s’amuse sur un bout de banquise
Un albatros errant qui plane dans la nuit
Le parfum de l’humus dans le sous bois d’automne
Une déchirure de mouettes sur le gras d’un labour
La beauté d’une femme le regard qu’elle donne
Qui habille de bleu la mélodie du jour
Cette odeur de café qui vient charmer l’aurore
Le bonheur du sentier qui s’allonge sous les pas
La luisance du trottoir que l’averse décore
Et le torrent limpide qui file entre les doigts
Le poète insolent défricheur de béances
Qui vide des silences sur le papier nu
Accrochant aux matins les voiles de l’espérance
Que viennent gonfler les songes d’un passé disparu
Il y a le monde autour en larmes et en sourires
Et le cri des enfants dans la cour de l’école
Des rêves de soleil et des pluies de désirs
Des chansons qui s’écrivent et des chats qui somnolent
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02/08/2008
PARFOIS
L’amour désarticule le sang de l’éphémère
Le précipice ouvert sous le fil aveuglé
Puits profond de silence
Et parfois je me vois mendier dans le désert
Parfois je rêve encore de cette éternité
Comme d’une innocence
Il peut pleuvoir comme le vent peut souffler très fort
Un fragment d’azur clair peut déchirer le gris
Venir même le printemps
Parfois mes jambes sont lourdes je regarde dehors
Sans trouver de courage même au cœur de la nuit
Quand l’escalier descend
L’amour même la haine me deviennent étrangers
Je flotte au gré de l’air parfois dans une bulle
Et je suis libre enfin
Dans le poison cruel de cette liberté
Le tranchant du rasoir sous mon pas funambule
Comme unique chemin
Le poids de l’or me ploie sous sa charge imposante
Je fermerai ma gueule un de ces jours prochains
Lorsque tout sera dit
Jamais je n’ai écrit de chansons qui se chantent
Si parfois j’ai voulu m’y noyer mes frangins
Des torrents de whisky
Je laisserai pourtant ces délires gravés
Des poussières de cagnard avant l’heure des moustiques
Des soleils qui se lèvent
Quelques étoiles filantes dans le ciel d’un été
Des concrétions amères qui se voulaient musiques
Les mots pillant les rêves
Parfois le blanc nacré sur des routes lointaines
Un Claudio mâchonnant une baguette en béton
Et tant d’autres voyages
Des navires sauvés d’un port en quarantaine
Sur la mer givrée d’une autoroute sans fond
L’aventure en bagage
Je suis né immobile parfois je vagabonde
Et je refais des pas tant de fois déjà faits
Qui ne se refont pas
Chaque instant m’est précieux tant que je suis au monde
Ma mémoire est un gouffre qui se gonfle de laid
Et de beau quelquefois
Je n’oublie jamais rien je m’arrange et je passe
Je fais des analyses dans mon laboratoire
Je triche un peu parfois
Je lâche l’animal si l’animal me lasse
Je tangue vers l’obscur j’y devine un espoir
Dans le cœur lourd et froid
Hambourg Copenhague Prague Bratislava
Satu-Mare Bercu Dunkerque Rotterdam
Quand parfois j’y reviens
Ultime vagabond qui traînaille par là
Tant de temps qui s’écoule où s’écoule mon âme
Quand il n’y a plus rien
J’étends mes jambes maigres au cygne qui décolle
Avec mes pieds puant trempant dans le Neckar
Sous la pluie germanique
Parfois je laisse au fond un peu de cet alcool
Cette chair de houblon que l’on boit jusque tard
Une bière utopique
Je naufrage parfois d’un sombre désespoir
Je laisse dériver ma barque sur mon ire
Et je vais jusqu’au bout
Le matin me réveille arpégé de guitare
Et de cernes bleuies allégées d’un sourire
La sagesse du fou
Je suis d’os et de peau et de ce sang impur
Qu’on apprend aux gamins qui s’en font une idée
Pourtant je reste intact
Rien de rien en ce monde dont je puisse être sur
Que la mort qui m’attend à cette extrémité
Et qui manque de tact
Je n’oublie rien jamais et je sourie encore
L’out back violet de l’été en décembre
Où je n’irais jamais
La méditerranée si nue de l’autre bord
Hamid de Kabylie a cessé de m’attendre
Au bled à Michelet
Michèle me tient la main parfois quand je transpire
Elle reste avec moi elle me donne des mots
Comme des enfants heureux
Quand je me couche alors le désert se retire
Et si je sens parfois un souffle sur mon dos
J’en prends assez pour deux
L’amour me condamne perpétuité infime
A la saveur du jour demain qui se prépare
A me noyer encore
A la douceur du grain aux fragrances intimes
Et aux navigations obscures et sans radar
Pour repousser les ports
Le facteur est passé du mot épistolaire
Tenant son pistolet à factures braqué
Dans ma boite crânienne
Je sème à la tempête des jeux de solitaire
Cette lettre nouvelle qui n’est pas arrivée
Est-ce la pénultième
Tout ce temps échappé fuyant d’une blessure
Pour encore une aurore et une aurore parfois
Respirant l’avenir
Le surf sur les lames frôlant la déchirure
Et les chevaux d’embruns galopant sous le toit
Je les entends hennir
Et des visages lampe et du son de vos voix
J’éclaire consciemment jusqu’au fond de mon cœur
Une onde familière
Un rire de guitare qui me secoue parfois
Un hoquet ferraillant qui ressemble au bonheur
Le sang de l’éphémère.
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