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03/12/2008

Pauvreté, précarité

J’ai eu le privilège, moi le breton habitant un minuscule village morbihannais, de participer aux rencontres « Pauvreté, Précarité, Quelle démocratie participative pour quelles transformations ? » Privilège parce que ces rencontres du 29 novembre avaient lieu au conseil régional Rhône Alpes à Lyon et que, le Morbihan ne risque pas de devenir le neuvième département de cette région. Privilège parce que j’en reviens plus riche d’avoir écouté et entendu la voix de ceux qui n’en ont pas, de ceux qui depuis la rue renvoient à la société libérale l’image de ce qu’elle est, injuste et franchement pourrie.

 

Je ne cache pas mes à priori négatif en ce qui concerne l’utilité de la « démocratie participative. » Utilité en terme de décisions et donc en terme de résultats visibles et en  terme d’efficacité. D’ailleurs cette journée apporte d’une certaine manière de l’eau à mon moulin puisque les « médias » étaient absents de ce qui constituait pourtant un évènement exemplaire de prise de parole libre pour les exclus et les « presque » exclus que sont les travailleurs pauvres, les précaires, les chômeurs, les Rmistes et RSaïstes, et les autres.

Autre apport d’eau à mon moulin incrédule, la présence de François Auguste, vice président du conseil régional, présence qui soulignait l’absence de tant d’autres qui avaient, bien sur, d’autres chats politiques à fouetter. Je salue d’ailleurs le courage et l’honnêteté de ce monsieur que je ne connais pas mais qui semble avoir la volonté de transformer profondément la situation.

 

Si j’ai trouvé très positif cette prise de parole par les « habitants de la rue », si je l’ai entendu comme une revendication de dignité, tout simplement de dignité humaine, c'est-à-dire sans se soucier des lois et des règlements, des typologies et autres classements dans des petites cases avec des gros mots : Santé, Logement, social, travail, etc.… J’ai entendu un cri qui est celui de l’humanité, un cri fondamental : Je suis comme vous, j’existe avec mes qualités et mes défauts, mes désirs, ma violence animale et vous me regardez comme une chose, un rebut, une ordure à traiter. L’émotion était forte, mais après… Que va-t-on faire de cette émotion ? Si j’ai ressenti profondément ce cri de mes semblables « frères humains » j’ai aussi été renvoyé dans le piège du monde de l’insertion !

 

En voilà un mot ! Une grossièreté presque dans ce cadre là ! J’ai fait sans difficultés un saut d’une dizaine d’années en arrière, d’une époque pendant laquelle je faisais partie du régiment des inséreurs.

 

J’ai assisté à la défense publicitaire des actions associatives diverses et variées, toutes utiles à leur niveau, voire même indispensables pour certaines. Mais en aucun cas cette réunion, à mon avis, ne devait être un lieu publicitaire, un lieu ouvert de concurrence entre les différentes actions, un lieu de prosélytisme comme cela l’a été pour certaines représentations d’organisme. Les personnes de la CGT arboraient un badge et ils n’ont pris la parole que pour faire mousser leur centrale et appâter le chaland. Ils ont été sifflés par une grande majorité de l’assemblée et ils ne l’ont pas volé ! Convaincus de faire une publicité positive pour leur syndicat ils ont obtenu l’exact contraire et c’est bien dommage. Heureusement, la plupart des pros n’étaient pas dans cet état d’esprit et même, certaines personnes qui ont pris la parole ont refusé de se présenter en préalable pour ne pas être confondu avec l’image, « la casquette » de leur organisation.

 

Il y avait 700 personnes dont le plus grand nombre étaient des « pauvres, » le peuple des exclus de notre belle société. Ils étaient pour une fois chez eux, sur le devant de la scène, avec un énorme besoin de reconnaissance humaine et rien d’autre. La dignité, le respect ! Le catalogue d’actions des uns et des autres m’a semblé déplacé dans ce contexte alors que le but était, me semble t’il, de réfléchir ensemble à des actions efficaces ne serait-ce que pour changer le regard de la société sur ces gens qu’elle s’évertue d’abord à exclure et ensuite à cacher. Rechercher ensemble, élus, professionnels et exclus, en quoi et comment la démocratie participative peut changer la situation.

 

L’insertion porte son propre mal en elle comme dit le dicton : le ver est dans le fruit… Déjà cette concurrence, cette multiplicité de structures qui interviennent dans le champ de l’insertion et qui se partage le gâteau des financements… Pas facile à tirer le pognon… Pas si nombreux les financeurs ! Alors il faut être meilleur que les autres, plus innovant, moins cher… C’est le système libéral dans sa splendeur, indiscutable ? Sinon que lorsque que ce système s’applique à des salades ou à du pétrole,  c’est déjà le bordel, c’est même carrément la crise ! Mais quand il s’agit d’aider des personnes à retrouver un boulot, un statut, que ce statut permet à l’individu de se réintégrer dans la « normalité, » que ça change le regard de l’autre, que ça rénove la dignité, la fierté même ; le système devient une indécence !

 

J’ai signé de nombreux contrats quand je travaillais dans ce domaine… Contrats et avenants au contrat, CDD, vacataires… Animateur, formateur, conseiller emploi formation, petit pion facile à bouger, à virer aussi…  La permanence de la précarité, le passage annuel par la case ASSEDIC, les statuts bâtards. Jusqu’au jour ou les financements disparaissent ou diminuent et il faut faire le tour du bureau, passer du fauteuil à la chaise, de l’écoutant à l’écouté… L’insertion qui fabrique de l’exclusion ! J’ai entendu ce discours à Lyon. La professionnelle, la vraie, formée, à Bac plus… qui se fait éjecter après deux années de bons et loyaux services et qui apprend quelques mois plus tard que le poste qu’elle occupait est confié à un bénévole… Où est le ver ? (Dans mon cas il y avait d’autres raisons, tues, pour justifier mon éviction, j’avais le culot de penser différemment, de placer cette fameuse « dignité » avant l’Entreprise, Je continue et j’en suis content.)

 

Enfin et surtout, insérer, à moins que je ne me trompe, signifie « mettre à l’intérieur », faire entrer. Le chômeur doit entrer dans l’Entreprise, l’habitant de la rue doit entrer dans un logement, le malade doit entrer dans la thérapie, etc. Chacun doit être inséré dans la société. Retrouver le plaisir paradoxal de payer des impôts, d’être reconnu comme un citoyen ordinaire, fier de jouir pleinement de son statut de citoyen. Il y a environ 100 000 habitants de la rue (Demande expresse d’appellation émanant directement de ceux que l’on met dans le sac : SDF), combien de ceux là, et je n’évoque volontairement pas les autres, le RMI et compagnie, combien de ceux là ont le désir profond d’être inséré dans cette société ultralibérale qui exclut en permanence, qui ne soucie pas des individus mais simplement du profit de quelques uns, une société pour laquelle l’exclusion est naturelle et inévitable comme la famine, la guerre, le travail des enfants, la mafia et toutes les autres joyeusetés qu’elle fabrique.

 

Le boulot des « inséreurs » est de faire revenir les exclus dans ce merdier ? L’insertion est entrée dans le système, elle y a trouvé sa place, ses pauvres comme l’église catholique à ses mendiants patiemment entretenus à chaque sortie de messe.

 

Quelques élus étaient discrètement présents à cette réunion. Je ne veux pas parler des élus municipaux mais des « cadres » de la politique, députés et sénateurs. Ne pas compter sur eux pour transformer cette société, Ils y sont très bien ! Leur effort se traduit par « la démocratie participative », pour les meilleurs d'entre eux. J’aimerais savoir ce qu’ils ont entendu et retenu de la riche parole des pauvres. Comme pour les syndicats, ce n’est pas la politique que je vise mais les politiciens. Pour changer ceux-ci et par la même la politique, viser enfin à ne plus avoir besoin d’insertion, c’est la société qu’il faut changer, casser les murs, faire « la révolution. » comme le disait mon copain Djamel, dépité par les discours des professionnels, tout doit venir de la rue ! Le seul espoir c’est la rue ! Je crois que les inséreurs devraient flairer le vent et chercher une certaine unité pour combattre le système dès maintenant, quitte à disparaître avec le système !

 

Bref, le monde de l’insertion ne change pas, il s’agit encore de retrouver la confiance de la société plutôt que changer la société. Suivre le discours institutionnel plutôt que rénover l’institution…

Les pauvres, les exclus de toutes sortes demandent autre chose, qu’on arrête de les promener d’une association à un centre de formation, à l’ASSEDIC et son 3949 débile, d’un animateur d’insertion à je ne sais pas quoi d’autres… Cela ressemble bigrement à du mépris, non ? Si au moins il y avait un esprit qui permette la mutualisation des énergies, que l’action sociale soit un peut plus solidaire…

 

L’insertion jargonne aussi… Une femme nous a dit : Quand c’est à la télé, on comprend tout, quand c’est vous, on ne comprend rien ! Si vous voulez apprendre le langage de la rue, on peut vous l’apprendre !

 

Voilà, j’arrête. Il est vrai que je n’ai pas été très courageux dans la prise de notes et que les quelques unes que j’ai pris sont parfaitement inutile à mon analyse. Mais tout de même, moi qui suis d’un pessimisme virulent (et assumé), j’ai trouvé matière à espérer dans ce que j’ai entendu qui venait des plus rejetés de notre société et aussi de cette question posée par une femme à François Auguste : A quoi ça sert la démocratie participative si on dérange ? Il a répondu que la démocratie participative n’était utile que si elle dérangeait, qu’elle était faite pour ça. J’espère que cette femme aura été rassurée par la réponse…

 

Mais je reste d’accord avec Djamel : Les changements viendront de la rue !

Petit plus : Les grands patrons français, nonobstant la crise, ont trouvé le moyen de s'augmenter (en moyenne) de 20% au cours de ces derniers mois, ce qui fixe leur revenu mensuel (une moyenne encore), a 383 000€ ! Pas mal !