02/07/2009
tour de France
"Bien sûr qu'Armstrong se dope"
Posté le 1 juillet 2009 Grand spécialiste mondial du dopage, le docteur
Jean-Pierre de Mondenard est le co-auteur de La grande imposture , ouvrage sorti
quelques jours avant le départ du Tour de France 2009. Ancien médecin de la
Grande Boucle, ce Nîmois fondu de cyclisme ne mâche pas ses mots quand il parle
du retour de Lance Armstrong, grand coureur selon lui, mais certainement pas
irréprochable. ASO, l'organisateur de la Grande Boucle, et la presse en prennent
aussi pour leur grade.
Docteur, à la lecture de votre livre, on ne peut pas dire que vous soyez le
premier supporter de Lance Armstrong.
Je n'ai rien contre Lance Armstrong en particulier. Mon rôle est de décrypter
les phénomènes du sport. On se retrouve dans un monde à deux têtes, avec d'un
côté des sportifs qui mentent sur leurs pratiques et de l'autre le monde de
l'antidopage qui ment sur les résultats. Pour avoir été médecin de l'intérieur,
sur le Tour de France pendant trois ans ( de 1973 à 1975, Ndlr ), j'ai des
éléments pour décrypter les messages et l'hypocrisie qui règne dans le monde du
sport en général et du cyclisme en particulier. Bien sûr qu'Armstrong se dope.
Mais moi j'essaie d'apporter mes connaissances à ceux qui n'ont qu'un seul son
de cloche. Qu'on ne se trompe pas, Armstrong est un très bon coureur. Qu'il
triche devrait me choquer, mais comme presque tous les autres font pareil... Ce
qui me gêne le plus avec lui, c'est qu'il persiste à vouloir se faire passer
pour le héros de la lutte antidopage. Il prend le public pour des imbéciles.
Vous semblez aussi tenir à démystifier l'homme miraculé du cancer.
Oui, ça aussi me dérange. Il a certes eu un cancer mais celui des testicules est
le plus facile à soigner. Aujourd'hui, la grande majorité des malades qui
souffre de ce cancer s'en sort. Parmi tous les sportifs de haut niveau qui l'ont
contracté, à ma connaissance et après de nombreuses recherches, aucun n'en est
mort. Il n'y a donc rien d'extraordinaire au fait qu'Armstrong s'en soit sorti,
la chimiothérapie avec lui a tout de suite pris. Fignon, s'il parvient à s'en
sortir, sera un survivant du cancer. Pas Armstrong.
"ASO lui dresse le tapis rouge !"
Comment pouvez-vous affirmer qu'Armstrong soit un cycliste dopé alors qu'il n'a
jamais été contrôlé positif ?
Devant la justice, quand une personne témoigne contre une autre sans preuve
concrète, elle n'obtient rien. Mais quand dix témoignages disent la même chose,
alors on appelle ça des preuves testimoniales. Et des dizaines de personnes ont
témoigné contre lui ! De 1947 à 2008, et si l'on excepte les deux derniers
vainqueurs et encore, tous ont eu des casseroles sauf Greg Lemond même si je ne
mettrai pas ma main au feu sur le fait qu'il était clean. Pour Armstrong, on n'a
pas une casserole mais une quincaillerie de casseroles ! Et le pire c'est qu'il
répond toujours la même chose : « Je n'ai jamais été contrôlé positif ». Marion
Jones, qui a été contrôlée des centaines de fois, n'avait jamais été prise et
pourtant... Tous les tricheurs s'appuient sur la négativité de leurs contrôles,
c'est leur façon de se défendre et ils répètent cela en boucle. Tous ses plus
coriaces adversaires qu'il a dominés sur le Tour de France se sont fait choper.
Alors soit c'est un mutant, soit c'est un menteur. Je vous laisse vous faire
votre opinion.
Qu'est-ce qui vous déplaît le plus dans l'annonce de son retour ?
La mise en scène. Prenons l'exemple de son interview donnée sur France 2 il y a
quelques jours (dans l'émission Vivement dimanche le 28 juin). Il savait que
Michel Drucker ne lui poserait pas de vraies questions, que tout était entendu
d'avance. Armstrong a commandé son retour. Le plus dérangeant c'est le jeu
d'Amaury Sport Organisation (ASO) qui se disait le chantre de l'éthique. Ils
envoient avec la présence de Lance sur le Tour le message le plus pervers que
l'on puisse envoyer au monde entier. On lui dresse carrément le tapis rouge !
Tous ses anciens concurrents ont été rattrapés par la patrouille et lui débarque
comme si de rien n'était.
Vous n'êtes pas tendre avec quelques-unes des grandes instances sportives (CIO,
CNOSF, présidents de fédération, ministres des Sports) mais aussi avec les
journalistes que vous qualifiés également d'"hypocrites faisant semblant d'être
choqués par le dopage sportif".
Quand j'étais vraiment à l'intérieur du Tour, donc entre 1973 et 1975, je peux
vous dire que tout le monde était pour le dopage. Mais une fois devant les
médias, le discours changeait radicalement. On entendait l'inverse. Pourquoi
pensez-vous que les grands quotidiens que sont L'Equipe, Le Monde, Le Parisien
ne me demandent jamais mon avis en matière de dopage ? La presse depuis toujours
fabrique ses spécialistes. Tout est formaté. Parfois, ils prennent des gens qui
ne le sont pas au départ et finissent par le devenir... Il y a quand même des
journalistes qui font leur boulot mais eux sont souvent à l'extérieur, ils n'ont
pas accès à toutes les informations. Et vous savez quand on est dans l'avion du
président, on a envie de garder sa place. C'est pareil dans le monde du sport.
Je ne mets personne en cause mais le système.
"Les vingt premiers dans les cols roulent à l'oxygène..."
Le Tour de France sera cette année encore placé sous haute surveillance en
matière de lutte antidopage. Cela fait-il sourire le spécialiste que vous êtes
qui dresse dans son ouvrage un tableau avec bon nombre de produits encore
indécelables ?
Vous savez, l'amélioration des contrôles professionnalise les tricheurs.
Parfois, comme l'an dernier, une substance est décelée pour la première fois.
C'était le cas de l'EPO CERA en 2008. Quelques coureurs se font attraper mais ce
sont eux, les premiers pris, qui paient pour les autres. Parce que les autres,
une fois qu'ils savent que ce produit est détectable, ils en changent. Il y a un
tel écart entre la recherche et les produits utilisés par les tricheurs...
Que pensez-vous du passeport biologique ? Est-ce un outil satisfaisant pour les
chercheurs ?
C'est une avancée. Cinq coureurs ont été pris ( les Espagnols Igor Astarloa,
Ruben Lobato Elvira, Ricardo Serrano Gonzalez et les Italiens Pietro Caucchioli
et Francesco De Bonis, Ndlr ). Il faut maintenant voir s'ils vont être
sanctionnés. Sinon ce sera un pétard mouillé. Ces passeports ne sont pas encore
déterminants mais on en est qu'aux prémices. Si tout était au point, c'est tout
le peloton ou presque qui se serait fait prendre. Ce qui me dérange pour le
moment, c'est qu'il n'y ait que cinq coureurs dans le viseur. Pour moi le
peloton se divise en quatre catégories. Les vingt premiers dans les cols «
roulent à l'oxygène » : l'EPO, les transfusions autologues. Ensuite il y a ceux
qui utilisent des produits borderline comme l'Actovegin, le Neoton qui est une
créatine injectable. Dans la troisième, on retrouve ceux qui courent avec des
AUT ( Autorisation à usage thérapeutique, Ndlr ), autorisations pour tricher
selon moi. Ce sont des dopés autorisés... Enfin, il y a ceux qui ne prennent
rien et ce sont les moins nombreux.
Bernhard Kohl, récemment passé aux aveux, estime que le passeport biologique
aide les tricheurs à connaître les valeurs sanguines dans lesquelles ils doivent
rester pour ne pas attirer l'attention.
Oui, c'est une de ses limites. Il n'est pas le premier à dire cela. Philippe
Gaumont expliquait la même chose quand il disait que cela permet de «refaire les
niveaux pour être en conformité». Mais la chose la plus importante dans
l'interview de Kohl, c'est qu'il actualise les faits du dopage. Tout ce qu'il
raconte on connaît déjà mais cela confirme que rien n'a changé. Alors quand
certains parlent de renouveau c'est vraiment bidon. Vous imaginez que Rebellin (
contrôlé positif à l'EPO CERA à posteriori, Ndlr ), sur le podium des Jeux de
Pékin, a dit : « C'est la victoire du sport propre ». C'est affligeant
d'entendre des absurdités pareilles.
En tout cas, comme tous les repentis, Kohl s'est attiré les foudres de ses
ex-collègues qui n'ont pas hésité à le traiter de menteur...
Le sportif de haut niveau est programmé pour mentir. Et quand il déballe, vous
êtes sûr qu'il dit la vérité. Là, le milieu va le marginaliser, dire que c'est
un mec pas bien. Ça a été pareil avant lui, avec les cas Bassons, Menthéour,
Manzano... L'histoire de Bassons est exemplaire car il s'agit de l'un des seuls
à avoir parlé sans avoir été contrôlé positif. La plupart des coureurs passe aux
aveux une fois avoir été rattrapés par la patrouille.
Pour en revenir au Tour de France, pensez-vous que Lance Armstrong a une chance
de le gagner pour la huitième fois ?
C'est possible. Son problème majeur c'est Contador. A l'époque, Armstrong avait
huit coureurs à son service, ce ne sera pas le cas cette année puisqu'ils vont
devoir se partager les coéquipiers. Je pense que ça va être sanglant dès le
contre-la-montre de Monaco . Parce que pour l'un comme pour l'autre il faudra
être devant, ou tout du moins pas très loin.
* La grande imposture, Jean-Pierre De Mondenard, entretiens avec David Garcia.
Editions Hugo&Cie.
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